mardi 25 septembre 2012

Concept du Kameleon.


« C'était il y a deux ans. Je me nommais Justin Kreis. J'avais quatorze ans. Je n'habitais pas Berlin, mais Lindenberg, une ville au sud. Suite au décès de mon père, par un cancer, je me suis mis à fumer. Puis, j'ai abandonné la clope, en quelques semaines, pour me tourner vers les aiguilles. C'était plus confortable... plus radical. J'avais décidé de m'enfoncer peu à peu dans la torpeur de la mort. En août, deux mois après la disparition de mon père, j'étais retrouvé un jour dans la rue, dans un état critique, après avoir fait une overdose. Quand j'ouvrais les yeux, trois jours plus tard, réellement conscient, je fus vraiment heureux de ne pas voir ma mère, mais un adolescent, brun, qui m'étudiait. Ses premières paroles furent « Espèce de petit minable. » J'ai compris que c'était lui qui avait appellé l'ambulance ou les secours, pour me transporter à l'hôpital. Milo Scheban. Brun foncé, au regard éternellement colérique, carré, mais aux mots caressants. Nous nous liâmes rapidement d'amitié. Il venait de Turquie, d'ascendance allemande, et venait redoubler dans mon établissement. Dès la rentrée, nous étions connus pour être inséparables. Pourtant, lorsqu'il fût, comme moi, entouré de nos camarades de classe, j'avais l'étrange impression qu'il me délaissait, pour ...imiter les autres? Je ne comprenais pas son attitude. Il cherchait inlassablement à s'attirer les relations amicales, et y parvenait presque à chaque fois. Moi, je le suivais, trop timide pour dire quoi que ce soit. Son amitié, soit dit en passant, m'avait retiré le goût de me piquer ou de toucher à une quelconque drogue...
Plusieurs mois s'écoulèrent depuis la rencontre entre Milo et moi. Un sentiment de colère grondait dans mon ventre, faisait naitre de jour en jour un caractère que je ne me connaissais pas. De timide et renfermé, impulsif, j'étais devenu observateur, vicieux... colérique. Comme si je m'imprégnais de Milo. Ce dernier eut un jour , en hiver, un comportement violent envers moi, me reprochant d'être jaloux. Ce jour là, nous étions sur la place, lui, moi, et environ cinquante autre garçons qu'il avait « recruté ». Les gens nous étudiaient rapidement avant de nous dépasser, peu désireux d'assisster à une bagarre, tandis que la tension montait dans notre rassemblement. Il répétait avec arrogance que j'étais faible. Que je ne pouvais le remplacer....
A l'instant où Milo prononça cette phrase, bien que je n'eus pas la moindre idée de ce que cela voulait dire, je sentit vraiment, mais vraiment un énorme ouragan de tristesse dans ma tête. Après tout ce temps... lui qui m'avait sauvé... me voyait donc comme un minable, malgré tous mes efforts pour lui plaire. Alors... j'ai laissé éclater quelque chose dans mon coeur. Si tu vas à Lindenberg, un jour, sur la place, en face de la Rathouse, il y a un énorme arbre. J'y est écrasé Milo, le soulevant de terre, devant ses acolytes. Et je lui ai gueulé dessus, en lui disant que j'étais ce que j'étais, et que personne ne pourrais m'empêcher d'être. Que je l'aimais et que son mépris m'étais inadmissible. Que j'avais changé, évolué, et qu'il ne pouvait pas se permettre de se croire au dessus de moi, quelques soient ses souffrances. Le regard que nous avons échangés ce jour là m'a clairement apprit que je n'étais plus un faible pour lui. JE ne voulais pas qu'il se trompe. L'important n'était pas ma force musculaire, le fait que je le soulève avec facilité, donc que je sois techniquement fort. Non. C'était que je me rebellais contre lui, contre ses dires, lui prouvant juste par cette action qu'il se trompait. Que je savais me battre contre les préjugés. J'aurais pu me taire, et baisser la tête, encore une fois à ses provocations. Mais je n'étais plus le gamin blond de la ruelle, avec une aiguille dans le bras, à moitié crevé. J'étais une partie de sa force. Et nous le savions tous deux. Alors... il m'a révélé une chose incroyable. Il m'a dit, le soir même, dans son jardin, qu'il était un Caméléon. Qu'il était l'unique survivant d'une organisation succéssive. Qu'il était le sixième représentant d'une jeunesse rebellée dans l'Allemagne. Cette organisation ne comptait que des garçons. Il y avait un chef, le Caméléon, et les séides. Ces derniers étaient tous récupérés dans un état désastreux. Que c'est un cercle vicieux, qui se répète tous les deux ans, dans ce pays.
J'entends encore la voix de Milo, qui avait un sourire et de la neige fouettant ses cheveux drus, me révèle tout ça. Me révèle que cette organisation, c'est lui, et que le but, c'est un suicide collectif. Et que je suis l'héritier, le septième. Il me révèle tout. Comment, par exemple, cette secte, organisation, rassemblement, donne le nom que tu veux, à vu le jour, il y quatorze ans. Comment nous ne mourrons pas, car chaque Caméléon, après avoir été dôté du titre, met tout en place pour redoubler une année, et donc, garder la tranche d'âge des quatorze, quinze ans. Comment lui est devenu Caméléon. Comment je le suis devenu, devant tous les garçons qui finalement étaient devenus mes frères. Comment nous nous sommes aimés, tous.
...Comment un soir, ils sont entrés dans une forêt, avec de la poudre et des bouteilles d'eau, et n'en sont jamais ressortis.
Ce soir là, j'avais été enfermé par Milo dans un cagibi du Gymnasium. Le temps qu'on me retrouve, ma famille sprituelle; Milo et tous les autres n'étaient plus avec moi. M'avaient abandonnés pour s'envoler, via une inhalation collective d'un poison. La police ne sut jamais que j'étais avec eux, et donc, je ne subis aucun interrogatoire. Personne ne comprit jamais pourquoi ce suicide collectif, de quatre vingt vingt dix sept garçons eut lieu. Quels étaient leurs motifs? Les familles furent interrogées, la ville fouillée de fond en comble. Mais il ne mirent pas la main sur moi, car j'avais déserté les lieux le soir même. Après un mot à mes grands parents, leur expliquant que j'avais décidés de fuir cette ville hantée, je gagnais Hamburg, en stop. Je gagnais la liberté de mon corps, de mon devenir. C'est ce que je croyais. Pendant un an... pendant un an, j'ai vécu sous le souvenir des yeux de Milo, m'ordonnant de reprendre la chaine. Je crois que tu ne peux pas comprendre la douleur, la souffrance qui me déchiquetait. Je voulais me péter la gueule, m'envoyer en l'air, me verser de la Javel dans le crâne. Tout, tout pour échapper à la torture de cet amour disparut et de cette torture de culpabilité. Pourquoi j'avais pas le droit de mourir? Pourquoi eux, malgré nos souffrance commune, ils avaient eu la chance de crever, et pas moi? Pourquoi je devais vivre alors que je n'avais plus le moindre repère? Pourquoi il était parti, s'était envolé sans moi? Je l'aimais... je les aimais de ce même amour. Et ces sales connards sont morts, un jour, sans moi. J'avais partagé pendant une année complète la vie de quatre vingt dix sept ados, dont Milo, et nous nous étions aimés. Tous ensemble, notre autocratie personnelle, qui nous poussait d'un sentiment tellement merveilleux, ravageur. Avoir le plaisir de vivre... de vivre pour quelqu'un d'autre que toi. Je les aimais. Chacun d'eux. Et je savais qu'un jour, cela se produirait. Et quand c'est arrivé... je n'étais pas près. De vivre. Car c'était la dernière volonté du sixième Caméléon. En aucun cas je ne devais briser la chaine. Etre caméléon... c'est accepté de vivre en hurlant de souffrance parce qu'on t'a arraché les boyaux. Parce que ton coeur est vide de tous ceux que tu aimais. Je suis Caméléon. Le septième. Lorsque je t'ai vu... j'ai soudé le huitième maillon. »

Sa voix était calme. Pourtant, devant tous, avec tous, Justin laissait des larmes couler sur ses joues pâles.

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