« C'était
il y a deux ans. Je me nommais Justin Kreis. J'avais quatorze ans. Je
n'habitais pas Berlin, mais Lindenberg, une ville au sud. Suite au
décès de mon père, par un cancer, je me suis mis à fumer. Puis,
j'ai abandonné la clope, en quelques semaines, pour me tourner vers
les aiguilles. C'était plus confortable... plus radical. J'avais
décidé de m'enfoncer peu à peu dans la torpeur de la mort. En
août, deux mois après la disparition de mon père, j'étais
retrouvé un jour dans la rue, dans un état critique, après avoir
fait une overdose. Quand j'ouvrais les yeux, trois jours plus tard,
réellement conscient, je fus vraiment heureux de ne pas voir ma
mère, mais un adolescent, brun, qui m'étudiait. Ses premières
paroles furent « Espèce de petit minable. » J'ai compris
que c'était lui qui avait appellé l'ambulance ou les secours, pour
me transporter à l'hôpital. Milo Scheban. Brun foncé, au regard
éternellement colérique, carré, mais aux mots caressants. Nous
nous liâmes rapidement d'amitié. Il venait de Turquie, d'ascendance
allemande, et venait redoubler dans mon établissement. Dès la
rentrée, nous étions connus pour être inséparables. Pourtant,
lorsqu'il fût, comme moi, entouré de nos camarades de classe,
j'avais l'étrange impression qu'il me délaissait, pour ...imiter
les autres? Je ne comprenais pas son attitude. Il cherchait
inlassablement à s'attirer les relations amicales, et y parvenait
presque à chaque fois. Moi, je le suivais, trop timide pour dire
quoi que ce soit. Son amitié, soit dit en passant, m'avait retiré
le goût de me piquer ou de toucher à une quelconque drogue...
Plusieurs
mois s'écoulèrent depuis la rencontre entre Milo et moi. Un
sentiment de colère grondait dans mon ventre, faisait naitre de jour
en jour un caractère que je ne me connaissais pas. De timide et
renfermé, impulsif, j'étais devenu observateur, vicieux...
colérique. Comme si je m'imprégnais de Milo. Ce dernier eut un jour
, en hiver, un comportement violent envers moi, me reprochant d'être
jaloux. Ce jour là, nous étions sur la place, lui, moi, et environ
cinquante autre garçons qu'il avait « recruté ». Les
gens nous étudiaient rapidement avant de nous dépasser, peu
désireux d'assisster à une bagarre, tandis que la tension montait
dans notre rassemblement. Il répétait avec arrogance que j'étais
faible. Que je ne pouvais le remplacer....
A
l'instant où Milo prononça cette phrase, bien que je n'eus pas la
moindre idée de ce que cela voulait dire, je sentit vraiment, mais
vraiment un énorme ouragan de tristesse dans ma tête. Après tout
ce temps... lui qui m'avait sauvé... me voyait donc comme un
minable, malgré tous mes efforts pour lui plaire. Alors... j'ai
laissé éclater quelque chose dans mon coeur. Si tu vas à
Lindenberg, un jour, sur la place, en face de la Rathouse, il y a un
énorme arbre. J'y est écrasé Milo, le soulevant de terre, devant
ses acolytes. Et je lui ai gueulé dessus, en lui disant que j'étais
ce que j'étais, et que personne ne pourrais m'empêcher d'être. Que
je l'aimais et que son mépris m'étais inadmissible. Que j'avais
changé, évolué, et qu'il ne pouvait pas se permettre de se croire
au dessus de moi, quelques soient ses souffrances. Le regard que nous
avons échangés ce jour là m'a clairement apprit que je n'étais
plus un faible pour lui. JE ne voulais pas qu'il se trompe.
L'important n'était pas ma force musculaire, le fait que je le
soulève avec facilité, donc que je sois techniquement fort. Non.
C'était que je me rebellais contre lui, contre ses dires, lui
prouvant juste par cette action qu'il se trompait. Que je savais me
battre contre les préjugés. J'aurais pu me taire, et baisser la
tête, encore une fois à ses provocations. Mais je n'étais plus le
gamin blond de la ruelle, avec une aiguille dans le bras, à moitié
crevé. J'étais une partie de sa force. Et nous le savions tous
deux. Alors... il m'a révélé une chose incroyable. Il m'a dit, le
soir même, dans son jardin, qu'il était un Caméléon. Qu'il était
l'unique survivant d'une organisation succéssive. Qu'il était le
sixième représentant d'une jeunesse rebellée dans l'Allemagne.
Cette organisation ne comptait que des garçons. Il y avait un chef,
le Caméléon, et les séides. Ces derniers étaient tous récupérés
dans un état désastreux. Que c'est un cercle vicieux, qui se répète
tous les deux ans, dans ce pays.
J'entends
encore la voix de Milo, qui avait un sourire et de la neige fouettant
ses cheveux drus, me révèle tout ça. Me révèle que cette
organisation, c'est lui, et que le but, c'est un suicide collectif.
Et que je suis l'héritier, le septième. Il me révèle tout.
Comment, par exemple, cette secte, organisation, rassemblement, donne
le nom que tu veux, à vu le jour, il y quatorze ans. Comment nous ne
mourrons pas, car chaque Caméléon, après avoir été dôté du
titre, met tout en place pour redoubler une année, et donc, garder
la tranche d'âge des quatorze, quinze ans. Comment lui est devenu
Caméléon. Comment je le suis devenu, devant tous les garçons qui
finalement étaient devenus mes frères. Comment nous nous sommes
aimés, tous.
...Comment
un soir, ils sont entrés dans une forêt, avec de la poudre et des
bouteilles d'eau, et n'en sont jamais ressortis.
Ce
soir là, j'avais été enfermé par Milo dans un cagibi du
Gymnasium. Le temps qu'on me retrouve, ma famille sprituelle; Milo et
tous les autres n'étaient plus avec moi. M'avaient abandonnés pour
s'envoler, via une inhalation collective d'un poison. La police ne
sut jamais que j'étais avec eux, et donc, je ne subis aucun
interrogatoire. Personne ne comprit jamais pourquoi ce suicide
collectif, de quatre vingt vingt dix sept garçons eut lieu. Quels
étaient leurs motifs? Les familles furent interrogées, la ville
fouillée de fond en comble. Mais il ne mirent pas la main sur moi,
car j'avais déserté les lieux le soir même. Après un mot à mes
grands parents, leur expliquant que j'avais décidés de fuir cette
ville hantée, je gagnais Hamburg, en stop. Je gagnais la liberté de
mon corps, de mon devenir. C'est ce que je croyais. Pendant un an...
pendant un an, j'ai vécu sous le souvenir des yeux de Milo,
m'ordonnant de reprendre la chaine. Je crois que tu ne peux pas
comprendre la douleur, la souffrance qui me déchiquetait. Je voulais
me péter la gueule, m'envoyer en l'air, me verser de la Javel dans
le crâne. Tout, tout pour échapper à la torture de cet amour
disparut et de cette torture de culpabilité. Pourquoi j'avais pas le
droit de mourir? Pourquoi eux, malgré nos souffrance commune, ils
avaient eu la chance de crever, et pas moi? Pourquoi je devais vivre
alors que je n'avais plus le moindre repère? Pourquoi il était
parti, s'était envolé sans moi? Je l'aimais... je les aimais de ce
même amour. Et ces sales connards sont morts, un jour, sans moi.
J'avais partagé pendant une année complète la vie de quatre vingt
dix sept ados, dont Milo, et nous nous étions aimés. Tous ensemble,
notre autocratie personnelle, qui nous poussait d'un sentiment
tellement merveilleux, ravageur. Avoir le plaisir de vivre... de
vivre pour quelqu'un d'autre que toi. Je les aimais. Chacun d'eux. Et
je savais qu'un jour, cela se produirait. Et quand c'est arrivé...
je n'étais pas près. De vivre. Car c'était la dernière volonté
du sixième Caméléon. En aucun cas je ne devais briser la chaine.
Etre caméléon... c'est accepté de vivre en hurlant de souffrance
parce qu'on t'a arraché les boyaux. Parce que ton coeur est vide de
tous ceux que tu aimais. Je suis Caméléon. Le septième. Lorsque je
t'ai vu... j'ai soudé le huitième maillon. »
Sa
voix était calme. Pourtant, devant tous, avec tous, Justin laissait
des larmes couler sur ses joues pâles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire